Reb Beach – WHITESNAKE – GUITARE XTREME

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N°133

Reb Beach – WHITESNAKE

REB ALERT

L’increvable collectif du hard rock à l’ancienne Whitesnake sort son treizième album Flesh and Blood. Guitare Xtreme Magazine a profité de l’événement pour solliciter le sieur Reb Beach, en poste depuis seize ans, et qui reste l’un des guitaristes les plus stupéfiants de la planète rock.

A la fin des années 80, le Pennsylvanien Reb Beach faisait la une de Guitar World, de Guitar for the Practicing Musician ou encore de Young Guitar, boosté par le succès commercial de Winger, un groupe de hard rock FM qui a connu son heure de gloire il y a… longtemps. Solide technicien et soliste inspiré, Reb s’était imposé grâce à son incroyable musicalité, mais également son approche très flashy du tapping, assez révolutionnaire pour l’époque. Après la descente aux Enfers de Winger (le groupe avait été obligé de capituler après avoir été pris comme tête de Turc par les deux sales gosses de MTV Beavis and Butt-Head), Reb a officié au sein de Night Ranger, de Dokken et du Alice Cooper Band avant de décrocher il y a une quinzaine d’années un CDI en or massif chez Whitesnake, la PME d’un certain David Coverdale. Le groupe, véritable institution du hard rock qui a connu de multiples mutations avant d’arriver au line-up actuel avec Reb et Joel Hoekstra aux guitares, vient de révéler au monde son treizième album intitulé Flesh and Blood, concentré de heavy rock old-school bardé de riffs virils et de sucreries mélodiques. Comme Reb s’est collé à la promo, Guitare Xtreme a sauté sur l’occasion pour passer un bon moment en sa compagnie. Go !

Reb, pour quelles raisons as-tu choisi de vivre à Pittsburgh ?
Tout d’abord, parce que j’y suis né, et aussi parce que la vie est douce en Pennsylvanie. Pittsburgh est une ville agréable où on peut se mettre bien pour pas trop cher. Le seul inconvénient, c’est la météo, un peu comme à Paris. Il pleut plus à Pittsburgh qu’à Seattle, si tu vois ce que je veux dire (rires). Mais on ne peut pas tout avoir. Il y a aussi l’aspect humain. Les gens de Pittsburgh ne sont pas superficiels comme dans d’autres grandes villes américaines, et ils ont un sens civique développé. Pour moi, c’est très important, la qualité de vie.

Félicitations pour “Flesh and Blood” qui, je crois, est un album un peu particulier pour toi…
Eh bien, oui. Je suis guitariste de Whitesnake depuis seize ans, et pour la première fois, David Coverdale m’a laissé l’opportunité de composer. Ce disque représente donc une étape très importante pour moi.

« J’ai fini par me casser de ce temple pour jazzmen conservateurs pour suivre mon rêve d’ado, qui était de devenir une rock star ».

 

 

Michele Luppi - Joel Hoekstra - David Coverdale - Reb Beach - Michael Devin - Tommy Aldridge

Du coup, tu vas gagner plus de blé…
(Rires)… Non, je ne pense pas ou alors pas de manière significative. Je pense qu’aujourd’hui, plus personne ne gagne d’argent avec le publishing. YouTube et les boîtes de streaming ont fait tellement de ravages dans la profession… Nous serions dans les années 90, je sauterais sans doute au plafond, mais étant donné la tronche du music business aujourd’hui, il n’y a vraiment pas de quoi s’exciter

D’ailleurs, pourquoi n’avais-tu pas droit au chapitre sur les deux albums précédents ?
Parce qu’il y avait une alchimie bien particulière entre David et Doug Aldrich (ancien guitariste de Whitesnake NDLR). Leur binôme fonctionnait super bien, alors je ne mettais pas mon grain de sel. Désormais, nous écrivons de plusieurs façons différentes. Soit j’écris seul avec David, soit l’autre guitariste Joel Hoekstra écrit avec David, soit on bosse tous les trois.

Comment as-tu réagi lorsque David t’a sollicité pour composer ?
En fait, il ne m’a rien demandé du tout. Il a fallu que je prenne mon téléphone pour lui dire que j’avais de la matière à proposer et qu’à ce stade, je voulais m’investir davantage et devenir partie prenante du processus créatif. J’ai apporté au moins une quarantaine d’idées de chansons. David en avait déjà une vingtaine de son côté. Il n’a écouté mes démos que tardivement dans le processus d’écriture, parce qu’il est toujours très occupé, et quand il fait quelque chose, il faut toujours que ça aille vite. Au bout d’un moment, j’ai compris que pour qu’il prenne mon travail en considération, il valait mieux que j’attrape une guitare acoustique pendant qu’il était dans les parages et que je les lui joue directement.

Quels sont les critères de David concernant les chansons ?
David aime les idées très directes, les riffs bien efficaces avec trois accords. Dès que je lui jouais des choses un peu trop sophistiquées ou progressives, il me disait : « Non, ça, tu vas te le garder pour Winger. » (rires) Encore une fois, il ne m’a pas vraiment demandé de contribuer. Il se trouve que mes idées de chansons lui ont donné de l’inspiration pour les mélodies. Généralement, avec David, une session d’écriture ne dure jamais plus de trente minutes. On dégrossit le travail ensemble et il me donne quelques directives : « Ce riff-là est mieux pour faire un pont, gicle ce truc et mets-le plutôt là. » Ensuite, il se casse, et on se débrouille pour finaliser, pour mettre les points sur les « i » et les barres sur les « t », comme on le dit aux USA

Comment se passe ta collaboration avec Joel Hoakstra ?
Joel est probablement l’un des guitaristes qui travaillent le plus dans ce business, du moins parmi tous ceux que je connais. Il collabore avec des tas d’artistes en dehors de Whitesnake. Comme j’ai plus de temps à consacrer au groupe, j’en suis naturellement devenu le directeur musical, même si cela ne veut pas dire grand-chose, puisqu’au final, c’est toujours David qui décide (rires).

« Techniquement, je dirais que la moitié des guitaristes qui postent des vidéos sur YouTube ont un niveau plus élevé que le mien, mais artistiquement, ils ne proposent pas grand-chose ».

Donc, tu gardes les meilleurs spots pour placer tes propres solos…
Ha Ha Ha! Non, absolument pas. J’écoute attentivement la chanson et si la section solo m’inspire, alors je me lance. Pourquoi ? Parce que je sais que Joel est un musicien beaucoup plus complet que moi, et qu’il peut s’adapter à toutes les situations. Rien ne l’arrête et peu importe ce qu’il joue, c’est toujours très bon. Moi, je suis un peu plus limité. Si une partie ne m’inspire pas, c’est difficile, parce que je ne sais pas faire autrement que d’improviser mes leads. Finalement, nous avons tous les deux de belles tranches de solos sur Flesh and Blood.

Cette faculté d’improvisation, c’est dû à ton passage à la Berklee ?
Non, et je vais te confier un truc : je suis resté deux trimestres à Berklee. Tout ce qu’ils ont fait, c’est me dire que je ne jouais pas comme il faut et que ma façon de tenir le médiator n’était pas bonne… Un jour, un des profs, qui était un vrai trou de balle, m’a dit : « Vu ta façon d’appréhender la guitare, tu ne gagneras jamais ta vie dans ce business. » J’ai fini par me casser de ce temple pour jazzmen conservateurs pour suivre mon rêve d’ado, qui était de devenir une rock star.

Donc, tu n’as rien retiré de ton passage dans l’école ?
Si, si… Il y avait beaucoup de musiciens différents parmi les élèves et je les rencontrais à la cafétéria. On se parlait musique et on se donnait des rendez-vous pour jammer ensemble. J’ai fini par jouer pas mal en dehors de l’école. Un soir, je faisais un remplacement dans un groupe de reggae, et le lendemain, dans un groupe de jazz. J’ai donc appris à naviguer dans plein de différents styles et cela m’a beaucoup aidé par la suite, notamment lorsque j’ai joué avec les Bee Gees, Chaka Khan, et tous les artistes pour lesquels j’ai fait des sessions

Tu prétends ne connaître que trois gammes. Desquelles s’agit-il ?
Voyons voir… Je connais la gamme Majeure et la gamme mineure naturelle. En transposant ces patterns sur d’autres accords, j’ai compris que je pouvais sonner dorien, lydien ou mixolydien sans avoir à me fader d’apprendre de nouveaux doigtés (rires). Bien sûr, j’utilise aussi la gamme pentatonique. Je fonctionne comme un rockeur old school, mais la nature m’a doté d’une oreille vraiment fabuleuse. À l’âge de 4 ans, j’apprenais le piano plus vite à l’oreille qu’en allant au conservatoire. Je n’ai pas beaucoup d’aptitudes dans la vie, mais entendre et comprendre intuitivement la musique, ça, je sais faire.

Joel Hoekstra et Reb Beach

Tu as une bonne oreille et aussi de bons doigts…
Je suppose que oui. Ils ne sont pas très longs, mais j’arrive tout de même à jouer ce qui me passe par la tête. J’ai adopté de très vilaines habitudes à cause de cela. Par exemple, je n’ai jamais vraiment fait travailler mon petit doigt. Résultat, je ne l’utilise quasiment jamais, et c’est pour cette raison que j’ai développé ma technique de tapping. Cela me semblait plus facile.

Pourquoi avais-tu opté pour Berklee et non pour le GIT de Los Angeles ?
Bonne question ! Berklee n’était pas très loin de chez moi, voilà la raison (rires). De plus, le GIT n’existait pas depuis longtemps à cette époque. Cette école n’était pas encore très réputée.

 

On entend ici et là que la guitare perd du terrain. Qu’en penses-tu ?
Je trouve que c’est assez préoccupant. Pendant des années, j’ai attendu l’arrivée d’un nouvel Eddie Van Halen, mais bon, j’ai fini par me faire une raison. Paradoxalement, le niveau des guitaristes n’a jamais été aussi élevé. Techniquement, je dirais que la moitié des mecs qui postent des vidéos sur YouTube ont un niveau plus élevé que le mien, mais artistiquement, ils ne proposent pas grand-chose. Ils sonnent tous pareil, ils ne sont pas habités par le truc, ce n’est pas viscéral… Attendons de voir ce qui en sortira.

« À votre avis, pourquoi Jeff Beck, Joe Satriani et Eddie Van Halen se prennent encore la tête à voyager avec des amplis ? Parce que ça sonne mieux ».

Au début de ta carrière, pourquoi as-tu abandonné ton travail de session man pour jouer des groupes ?
En fait, après mon passage à Berklee, je me suis installé à New York et ma route a croisé celle d’Arif Mardin, un immense producteur. Il aimait ce que je faisais et il a commencé à me brancher sur plein de sessions. C’est simple, chez Atlantic Records, au milieu des années 80, j’étais le « rock guy » maison. Je passais mes journées en studio à travailler sur de magnifiques chansons avec de super musiciens. C’était un boulot intéressant, mais je supportais mal que des mecs de maisons de disques sans aucune compétence musicale se pointent pour remettre en question nos idées et nous expliquer comment nous aurions dû jouer. Au final, ça donnait souvent de la merde, alors j’ai fini par tout plaquer. J’ai rencontré Kip Winger (fondateur, chanteur et bassiste de Winger NDLR) et ma carrière a pris une autre tournure.

Et avec Winger, tu as connu le méga succès et la vie de rock star dont tu rêvais…
Oui, pendant deux ans (rires).

Oui, enfin quand même…
Ben tu vois, on avait du succès, mais ce n’était pas comparable avec Mötley Crüe. Winger, c’était un peu une réunion de musiciens de studio qui se sont associés pour vivre une belle aventure musicale. On avait Rod Morgenstein, l’un des meilleurs batteurs de New York, qui venait plutôt du jazz. Rien ne dépassait. On ne détruisait pas nos chambres d’hôtel… Non, nous étions une bande de mecs très gentils et plutôt nerds question musique. Nous aurions sans doute duré plus longtemps si nous n’avions pas suivi la mode vestimentaire de l’époque (rires). Les spandex et les cheveux permanentés, ce n’était pas une très bonne idée. On aurait mieux fait de porter des jeans et des t-shirts. Certains groupes comme Def Leppard ou Bon Jovi ont su s’adapter, mais pas nous.

Et Whitesnake, c’est un bon gig pour un gratteux ?
C’est LE gig ultime pour un gratteux de ma génération. Dans quel autre groupe pourrais-je m’exprimer avec autant de liberté et jouer autant de longs solos ? Bien sûr que David veut que sa voix soit au premier plan, mais Whitesnake est aussi un putain de guitar band.

Parlons de ton hygiène guitaristique. De quelle façon abordes-tu le travail de l’instrument aujourd’hui ?
Pour être tout à fait franc, je ne joue de la guitare que lorsque je travaille. C’est un peu honteux, je sais (il grimace NDLR)… Je connais des mecs qui apportent une guitare à l’hôtel après les concerts pour travailler, mais sûrement pas moi (rires). J’ai cette chance d’être un guitariste hyper constant. Je n’ai jamais eu besoin de bosser six heures par jour pour faire ce que je fais.

Il faut bien que tu bosses pour entretenir ta technique, non ?
Non, même pas. Je m’échauffe une quarantaine de minutes avant chaque concert, mais je me fais vite chier en jouant tout seul. Je sais que c’est mal, et que je devrais bosser comme un chien pour progresser encore et encore, mais non. Je me dis que j’ai 57 ans, que je joue comme je joue, et que c’est très bien comme ça. J’ai essayé d’intégrer les arpèges à mon jeu pendant une bonne partie de ma vie, mais je n’y suis jamais parvenu, et à vrai dire je m’en fous. J’ai aussi essayé d’apprendre le sweeping parce que c’était la mode. Forget it!

Il y a quelques temps, John Petrucci nous confiait qu’il ralentissait avec l’âge et qu’il lui fallait bosser encore davantage pour rester au top. Tu en penses quoi ?
Je connais bien John et il a raison. C’est exactement ce qui se passe. Je pourrais faire comme lui et bosser davantage, mais la vérité, c’est que je suis un être humain. Si mon corps décide d’aller plus lentement qu’avant, ce n’est pas le fait de tricoter à longueur de journée qui changera quoi que ce soit. Aujourd’hui, si je joue un plan rapide en legato pendant plus de trente secondes, je ressens des douleurs musculaires, mais c’est la vie ! Ma philosophie, c’est plutôt de contourner le problème en étant stratégique, et je dois dire que ça m’arrange bien (rires). Je joue vite de temps en temps et je me relaxe en étant plus cool et mélodique le reste du temps.

Tu as enregistré Flesh & Blood avec tes Suhr ?
Oui, tu sais, je suis un animal d’habitudes. Mes guitares de studio sont toujours les mêmes : la Suhr Custom que j’avais achetée chez Rudy’s Music en 1986 et mon modèle signature, qui est plus ou moins une réplique de la première, mais qui est un peu plus légère et montée avec des micros EMG. Elles sont toutes les deux en Koa, avec des touches en Pau Ferro (palissandre brésilien NDLR). Pour les amplis, c’est un peu pareil. J’avais acheté deux têtes Marshall JMP au début de Winger. Elles ont été complètement modifiées par John Suhr. Elles sonnent exactement comme un ampli Suhr (les fameuses têtes que Mike Slamer avait utilisées sur Cherry Pie de Warrant NDLR). Elles m’ont suivi avec Dokken et Alice Cooper et je les avais encore sur mes premières tournées avec Whitesnake. Lorsque j’ai eu les CAE OD100, qui ont été designées par Suhr, j’ai arrêté de les utiliser.

Tu attaques toujours tes amplis avec le Fatboost de Fulltone ?
Non, je l’ai dégagé pour le remplacer par un Shiba Drive de chez Suhr, qui est très efficace pour les leads. À part ça, il y a une Whammy II de chez Digitech, un delay El Capistan de chez Strymon, un accordeur Boss, et… C’est tout. Les autres effets proviennent de mon rack TC Electronic G-Major 2, et j’ai une wah Cry Baby en rack. Le contrôleur est à côté de mon pédalier Voodoo Lab.

Il y a encore une polémique autour des émulateurs d’amplis. Les as-tu essayés, et si oui qu’en penses-tu ?
Ce sont des machines impressionnantes, mais je suis désolé, pour l’instant, elles ne permettent pas d’obtenir l’incroyable densité du son saturé d’un ampli à lampes. En studio, il m’est arrivé d’utiliser des émulations de Fender en son clair qui étaient vraiment top et ça marche bien, mais pas pour la saturation. On a comparé le son d’une de mes têtes OD100 et son profil digital réalisé avec le Kemper. Ça ne tient pas la route. À votre avis, pourquoi Jeff Beck, Joe Satriani et Eddie Van Halen se prennent encore la tête à voyager avec des amplis ? Parce que ça sonne mieux. Cependant, je suis sûr que les émulateurs parviendront un jour à être au niveau.

Qu’est-ce que écoutes comme musique au quotidien ?
La plupart du temps, quand je veux écouter de la musique, je choisis du Bach ou du Stevie Wonder. Autrement, je ressors des albums de classic rock que j’écoutais quand j’étais gamin, du genre Rush, Aerosmith ou Steely Dan. Je ne trouve pas mon compte dans les nouveaux trucs et pour moi, rien n’enterre ces vieux groupes.

Pour finir, peux-tu nous donner un avant-goût de A View From the Inside, ton nouvel album solo ?
Il s’agit d’un album instrumental, dans l’esprit des vieux Jeff Beck, mais en plus musclé et avec des influences jazzy. J’ai vraiment hâte de vous faire écouter ça, parce que je bosse sur ces morceaux depuis un bout de temps et que j’en suis très fier. Il sortira au printemps prochain.

Ludovic Egraz