Plus de six mois après la sortie de You Hear Georgia, Guitare Xtreme Magazine s’est entretenu avec Charlie Starr, le « mastermind » derrière l’une des PME les plus excitantes du rock actuel. Une bonne entrée en matière avant le retour de Blackberry Smoke en Europe, avec une date prévue le 15 février au Bataclan.
Un peu en marge du énième revival 70’s rock que nous vivons actuellement (et qui continue d’achever le phénomène de muséification qui sclérose le rock), il y a quelques groupes qui sortent du lot et qui parviennent même à afficher une certaine fraîcheur, à l’image de Blackberry Smoke, excellent gang d’Atlanta, qui, à l’instar des Black Crowes vingt ans plus tôt, a réussi la gageure de se forger une personnalité et un univers uniques tout en s’inscrivant dans une certaine tradition (Lynyrd Skynyrd, le Allman Brothers Band). Pour l’instant, Charlie Starr et sa meute de coyotes parviennent à faire un sans-faute et le 7e ouvrage qu’ils ont sorti de leurs tripes, You Hear Georgia, véritable déclaration d’amour à leur terroir, est de loin le plus abouti et le plus passionnant, avec un boulot d’orfèvre supervisé par le génial Dave Cobb au niveau des guitares. Guitare Xtreme Magazine a pu croiser Mister Starr, histoire de faire le point et de parler chiffons.
You Hear Georgia est sorti il y a plus de six mois. En es-tu toujours satisfait ?
Pour l’instant je l’adore toujours, mais je dis bien « pour l’instant ». Il faudra me reposer la question dans un an. J’ai juste l’impression que tout cela est assez irréel. Quand on a commencé le groupe, on ne tirait aucun plan sur la comète. Nous étions loin d’imaginer que l’aventure durerait aussi longtemps, que nous sortirions un jour notre putain de septième album. Avec la crise sanitaire, on a pris le temps de nous retourner un peu sur le chemin parcouru et de l’apprécier. Avant, on avait trop la tête dans le guidon.
Est-ce plus difficile qu’avant pour vous de faire un album ?
Je ne suis pas certain que ce soit plus difficile en tant que tel, mais à notre niveau, pour que cela reste stimulant, nous devons à chaque fois nous montrer plus exigeants et tirer la qualité vers le haut. Nous avons écrit pas mal de chansons, alors chaque riff, chaque mélodie et chaque strophe sont passés au « détecteur de répétitions » (rires). Mais c’est un labeur d’amour. C’est un tel bonheur pour moi d’écrire.
« Tous les artistes n’ont pas pour mission de réinventer la roue. »
Et essayez-vous aussi de devenir de meilleurs instrumentistes ?
D’une certaine façon, oui, mais contrairement à un groupe de rock progressif, nous n’essayons pas forcément de briller davantage sur nos instruments. Nos compétences de musiciens, nos « chops », nous les mettons plutôt au service de l’ensemble, en cherchant le bon feel, le balancement unique qui fera pulser naturellement un morceau et qui le rendra agréable à jouer et à chanter. Quand j’écoute un chef-d’œuvre comme « Jumpin’ Jack Flash » des Stones, j’ai immédiatement envie de me lever et de danser. C’est presque une science de réussir à pondre un titre aussi imparable et c’est ce à quoi nous aspirons.
Votre musique s’inscrit aussi dans un certain classicisme. Avez-vous tout de même l’impression d’apporter quelque chose d’un peu neuf ?
Tu sais, je crois que c’est la même chose dans les tous les styles musicaux. Je me mets à la place d’un type qui compose de la dance ou de la techno. Il doit être confronté à la même problématique. Avec Blackberry Smoke, nous ne sommes pas du genre avant-gardiste, c’est sûr, mais même dans cette veine classic rock, on peut toujours se démarquer avec des mélodies particulières, une façon personnelle d’écrire et de raconter des histoires, ou bien de petits twists qui font que même si ça reste du fucking rock’n’roll bluesy, ce sera suffisamment frais et différent. Tous les artistes n’ont pas pour mission de réinventer la roue.
Tu es le principal songwriter du groupe : écris-tu sans arrêt ou bien par phases ?
Ce n’est jamais processus conscient. On va dire que comme beaucoup de songwriters, quand je prends une guitare pour jouer, il m’arrive fréquemment de me retrouver dans un endroit où les idées me viennent, comme si je les attrapais au vol, alors je sors un bloc de papier et un stylo, j’active l’enregistreur de mon téléphone, et je commence à écrire une chanson. C’est quelque chose de fragile que l’on ne peut pas trop intellectualiser. Si j’y pense trop, tout se bloque. Il faut parvenir à se vider la tête et se laisser porter par ses émotions.
Êtes-vous du genre à tergiverser des heures pour trouver le bon son de guitare en studio ?
Oui et non. La plupart du temps, nous comptons sur les accidents heureux et sur notre flair. Quand on fait tourner un riff, on essaie d’imaginer ce qui correspondrait le mieux. Est-ce une Les Paul Junior dans un Marshall Super Lead ? Une Esquire dans un Fender Deluxe ? La plupart du temps, quand on se fie à nos oreilles et à notre instinct, cela fonctionne, mais pas à tous les coups. Dans ce cas, il faut chercher et passer du temps, et étrangement, cela nous est arrivé plusieurs fois durant l’enregistrement de You Hear Georgia.
Cela devait être réconfortant d’avoir à vos côtés un producteur de la trempe de Dave Cobb (Rival Sons, Jason Isbell, Marcus King)…
Tout à fait ! On s’entend super bien. Dave est un gars d’Atlanta, comme nous, et un fin connaisseur du matériel vintage. Il me disait : « Non, avec cette Esquire, c’est plutôt avec le vieux Bassman qui est là que tu obtiendras le son gagnant. » Il ne se plantait jamais. Moi, je pensais qu’on allait fonctionner avec du Marshall tout du long, mais il y a deux ou trois chansons pour lesquelles ce grain ne convenait pas du tout. Comme je compose la plupart du temps avec une acoustique, il arrive que l’image mentale que je me fais du futur son électrique soit erronée.
« À un moment, il faut grandir un peu et accepter qu’on ne joue pas de la même façon avec du vrai matos. »
Comment fonctionnez-vous, Paul Jackson et toi ?
Avec Paul, nous avons été aux deux mêmes écoles : d’un côté celle de Joe et Brad et de l’autre celle d’Angus et Malcolm. En d’autres termes, il arrive que nous jouions exactement la même chose, mais souvent, il y a de subtiles différences entre sa partie et la mienne, et c’est dans ces recettes-là que réside tout le sel de nos arrangements de guitare. Après toutes ces années, nous partageons en quelque sorte le même cerveau. D’une certaine façon, sur You Hear Georgia, notre influence Skynyrd ressort aussi beaucoup, puisqu’il y a trois guitares sur toutes les chansons. Benji Shanks, qui nous accompagne sur la route depuis un bail était avec nous en studio tout du long. À la base, nous faisions appel à lui sur nos albums précédents pour jouer certains overdubs spécifiques, mais également des parties de slide, de pedal steel ou de mandoline. À chaque fois qu’on jouait en concert, ça me manquait de l’entendre, alors nous avons fini par l’engager. Je pense qu’il va rester avec nous pour de bon. D’ailleurs, sur « Morningside », on joue tous les trois un solo. Benji est notre Scott Thurston à nous (Thurston avait rejoint les Heartbreakers de Tom Petty comme multi-instrumentiste sur la tournée Full Moon Fever en 89, ndlr).
Vous aviez apporté beaucoup de matos en studio ?
On avait même beaucoup trop de choses. Dave nous avait dit de prendre un maximum de guitares et d’amplis. Je crois qu’en bon geek, il avait surtout envie de voir nos jouets (sourire). J’ai misé fort sur mes Junior 56, 57, 58 et 59. J’avais aussi une 335 de 64, quelques Esquire… Pour les amplis, j’avais une excellente tête Marshall des mid 70’s et quelques Fender Tweed qui vont bien. Comme mon rig live était stocké quelque part dans un entrepôt, je me suis aussi servi dans la collection de Dave, en utilisant notamment quelques vieux Magnatone, Orange et Marshall.
Êtes-vous des ayatollahs de l’analogique ?
Nous préférons la bande, mais nous utilisons aussi le digital. L’informatique permet de gagner tellement de temps. Nous faisons en revanche nos prises avec de la bande, même si objectivement, avec certains plug-ins, on s’approche aujourd’hui de très près de ce son analogique. Mais il y a aussi le plaisir d’utiliser du beau matériel. Même quand les simulateurs reproduiront le son d’un Plexi à la perfection, je ressentirais le besoin de me brancher dans un bon vieux Marshall, de tourner les potards et de m’esquinter un peu les oreilles au passage (sourire). Les simulateurs font le job, mais à un moment, il faut grandir un peu et accepter qu’on ne joue pas de la même façon avec du vrai matos. •