Edito
Il fut un temps, jouer des reprises avait plusieurs utilités. Les musiciens en herbe, encore trop verts pour composer leurs propres titres, pouvaient « faire leurs classes » tout en incarnant encore davantage leurs idoles de professeurs, et en pillant leurs cerveaux. Que l’on soit rockeur ou jazzman, c’est en travaillant ses standards que l’on forge son vocabulaire, et que l’on renforce sa confiance en soi. D’autre part, avoir sous les doigts un trousseau de morceaux bien maîtrisés permettait de participer à des jams, de gagner sa vie en jouant dans des bars, voire, pour les éléments les plus chevronnés, d’intégrer un super orchestre d’événementiel (encore aujourd’hui les musiciens professionnels qui « mangent le mieux » cachetonnent dans ce genre de formations à gros budget, souvent louées pour animer des soirées de milliardaires, du « bal de luxe » en somme). Mais depuis quelques années, la situation devient réellement préoccupante. Le cover band est devenu un business, une industrie, boostée par les tourneurs et les boîtes d’événementiel. Le groupe de rock créatif et aventureux est sur le point d’être marginalisé, le public préférant se déplacer pour écouter des musiciens frais jouer le répertoire de leurs groupes fétiches, plutôt que de prendre le risque de vivre une nouvelle expérience. Les bons musiciens eux-mêmes préfèrent monter ce genre de formations et faire de l’argent facile plutôt que d’errer de club en club en jouant un répertoire original. Autant dire que si Jimmy Page et Angus Young avaient préféré gagner leur vie en reprenant du Elvis Presley et du Chuck Berry, nous n’aurions pas eu grand-chose d’excitant à nous mettre sous la dent. Alors l’avenir du rock est-il de devenir la musique classique de demain, une musique morte maintenue en respiration artificielle par des « orchestres », tout comme ceux qui jouent Vivaldi ou Wagner ? Les musiciens créatifs deviendront-ils des parias de la société à l’image des compositeurs de musique contemporaine, dont les oeuvres sont jouées dans des laboratoires pour une élite d’aficionados ? Pourvu que non !
La Rédac'
Numéro 89
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