Par Ludovic Egraz
Si vous êtes un geek de la gratte habitué à scruter sur YouTube la moindre vidéo branchée shred et technique, vous connaissez probablement l’incroyable Troy Grady.
Cet américain de 45 ans, totalement habité par le sujet, lui-même guitariste de haute voltige, dissèque la technique des plus grands super héros de la gratte dans sa série de vidéos Cracking the Code, disponible gratuitement sur le net. Il narre à grands renforts d’animations divertissantes et d’extraits pointus issus de DVD officiels, de vieilles VHS pédagogiques, mais aussi de vidéos en slow motion, sa découverte du pick slanting. Ce secret, véritable « technique dans la technique », qu’il décrit comme étant le chaînon manquant, le super pouvoir utilisé par tous les guitaristes mutants, de Nuno Bettencourt à Al Di Meola en passant par Steve Morse, Eric Johnson, Steve Vai et Yngwie Malmsteen, est désormais à votre portée. Une aventure guitaristique qui pourrait bien changer votre vie à jamais. Et pour ceux qui en veulent encore plus, Troy vend sur son site www.troygrady.com tout un cursus de cours haut de gamme intitulé Masters of Mechanics. Guitare Xtreme est parti à la rencontre de cet ingénieur fou de la gratte, qui passe ses journées enfermé dans son laboratoire new-yorkais.
Étais-tu guitariste pro avant de te lancer dans l’aventure Cracking the Code ?
Pas du tout ! J’étais chasseur de têtes pour une grosse boîte technologique. Mon job consistait à recruter des ingénieurs, des programmeurs et des mathématiciens. Parallèlement, je pratiquais la guitare très sérieusement. Aujourd’hui, mon boulot est un mélange de guitare et de business. Cet équilibre me rend très heureux.
Dans certaines vidéos de Cracking the Code, on te voit évoluer dans une chambre de teenager, avec une antique Ibanez Roadstar, un synthé Casio préhistorique et des posters de guitar heroes. Ce décor est-il autobiographique ?
Oui, tout est réel. Il s’agit de mon Ibanez Roadstar de 1985, et ma mère m’a envoyé toutes mes vieilles affaires, mes posters, mes cassettes VHS, ma collection de vinyles, mon petit combo et ma pédale Boss HM-2 (gamin, j’ignorais que la saturation pouvait provenir des amplis)… Nous avons ainsi pu recréer ma chambre d’ado. Le Casio SK1 qui me servait à ralentir les plans était cassé, mais j’en ai retrouvé un sur Ebay pour 65 dollars (rires). J’ai aussi racheté une vieille chaîne hi-fi vintage.
Combien de personnes sont impliquées dans ce projet révolutionnaire ?
Nous sommes trois dans l’équipe de Cracking the Code. Outre moi, il y a Brendan Schlagel et Adam Payne. Bien sûr, nous sommes obligés de porter plusieurs casquettes. Par exemple, nous nous relayons sur le travail d’animation, même si Adam est un peu plus pointu.
Outre leur côté fun, ces animations aident vraiment à comprendre tes concepts. Comment les réalisez-vous ?
Nous utilisons le logiciel Motion qui est offert par Apple avec Final Cut. L’interface est très simple. Les animations apportent à nos vidéos une dimension plus ludique, voire même fantastique. Regarder uniquement des extraits de vidéos pédagogiques, ce serait vite ennuyeux.
Cracking the Code s’adresse à des guitaristes déjà expérimentés. Quelle est votre mission ?
Nous voulons les aider à franchir un cap supérieur. Lorsque j’étais plus jeune, je m’entraînais quatre ou cinq heures par jour, et pourtant, certaines techniques restaient hors de ma portée. J’ai longtemps pensé que je n’avais tout simplement pas le potentiel pour progresser davantage. En réalité, je manquais juste de connaissances. Je pense que la plupart des gens qui s’intéressent à notre boulot sont dans une situation similaire.
C’est sûr que les VHS d’antan et les rubriques pédago des vieux Guitar Player n’étaient pas exempts de défauts…
Oui, mais pourtant, ces supports ont marqué une étape importante dans la pédagogie. Ils nous ont permis d’obtenir des informations directement des guitaristes connus, et aussi de comprendre le rôle primordial de la vidéo pour étudier les mouvements. Pour moi, c’est à ce moment-là que l’aventure a vraiment commencé.
Certains micros-mouvements restent pourtant invisibles à la caméra comme le fameux Two way pickslanting. C’est d’ailleurs étonnant qu’aucun pédagogue n’ait mis le doigt dessus…
En réalité, les virtuoses qui maîtrisent cet outil précis et puissant qu’est le pickslanting n’en ont souvent même pas conscience. C’est quelque chose que l’on rencontre fréquemment chez les tennismen de haut niveau, comme Novak Djokovic. Bien que numéro un mondial, il continue d’avoir recours à un entraîneur pour booster ses performances. Ce coach est à même d’analyser son jeu au microscope, et de lui suggérer de petits ajustements visant à corriger ses défauts techniques pour le rendre encore plus efficace sur le court. J’ai pu constater que beaucoup de guitaristes « d’élite » sont incapables d’expliquer leur propre technique. Avec notre système de « slow motion », nous pouvons tout voir et comprendre, même ce dont ils n’ont pas conscience.
Yngwie Malmsteen, Eric Johnson ou Paul Gilbert ont bouleversé la technique guitaristique à une époque où les supports pédagogiques n’existaient même pas. Étaient-ils plus intelligents que nous, ou bien plus doués ?
Ce qui est certain, c’est que nos héros avaient des aptitudes hors-normes pour apprendre à jouer. Ce sont des athlètes de la guitare. Le dénominateur commun qui les relie, c’est qu’ils ont tous progressé de façon fulgurante lorsqu’ils étaient très jeunes, parfois parce qu’ils ont eu la chance de tomber sur un prof ultra compétent, mais plus souvent parce qu’ils ont eu de l’intuition et qu’au hasard de leurs tâtonnements, ils ont réussi à percer ce mystère insondable pour le commun des mortels : le pickslanting. C’est notamment le cas de Paul Gilbert, Yngwie Malmsteen et Steve Morse.
Doit-on travailler 12 heures par jour pour espérer jouer à leur niveau ?
De mon expérience, lorsque je demande à des guitaristes confirmés combien de temps il leur a fallu pour devenir bons, j’obtiens des réponses variables. Nous venons de faire une interview avec Carl Miner, un jeune virtuose du bluegrass. Il a remporté son premier championnat de flatpicking à 17 ans, à peine plus d’un an après avoir débuté. Il joue en cross picking, un peu à la manière de Steve Morse. Il m’a dit : « C’était un enfer de réussir à maîtriser ce truc. Tu te rends compte, il m’a fallu quatre mois pour parvenir à jouer ce que je voulais ». Pour lui, c’était très long (rires). Je lui ai dit que j’allais couper cette séquence au montage, afin d’éviter que les gens le détestent. Il m’a répondu : « Oui enfin, je bossais quand même trois heures par jour ». Que veux-tu répondre à cela ?
Pourquoi as-tu basé toutes tes recherches sur les techniques de main droite ?
Parce que c’est vraiment ce qui m’interpellait le plus. Lorsque j’observais les guitaristes que j’aimais, je me rendais compte que peu d’entre eux maîtrisaient vraiment le flat picking. À l’évidence, il s’agissait du gouffre béant séparant les « élus » des autres guitaristes, ce qui n’a aucun sens. La technique du piano et du violon est disséquée depuis des siècles. Au conservatoire, on peut étudier chaque geste, chaque position, chaque doigté, chaque démanché. Quid pour les guitaristes ? Mais désormais, les choses vont changer.
Nous serons tous des « élus » dans un futur proche…
Oui, sauf que les surdoués bénéficient eux aussi de nos lumières, et ils continueront d’apprendre encore mieux et plus vite que les autres (rires). La bonne nouvelle, c’est que tout le monde jouera de mieux en mieux. Je dis souvent que j’apprends aux gens à bien faire du vélo. Nous avons tous appris à pédaler et à tenir en équilibre sur un vélo. Personne ne se souvient vraiment de comment c’est arrivé, mais pourtant nous sommes tous de bons cyclistes. Notre technique est fluide, nos mouvements parfaitement coordonnés et efficaces. Or les mouvements impliqués dans la pratique du vélo sont tout aussi basiques que ceux servant à développer une solide technique de picking sur la guitare. Étonnement, je croise encore beaucoup de guitaristes expérimentés qui sont contrariés à ce niveau-là. Ils ont juste besoin d’optimiser certains mouvements pour se libérer.
Les cyclistes du Tour de France sont quand même meilleurs que nous…
Non, ils sont juste plus rapides et endurants que nous. Ce sont des athlètes, mais basiquement lorsque nous allons acheter du pain à bicyclette, notre technique est aussi bonne et efficace que la leur, et c’est pareil avec la guitare. Mon boulot de pédagogue avec Cracking the Code et Masters of Mechanics, c’est de prodiguer aux gens des informations cruciales pour qu’ils puissent pédaler correctement.
Tu exposes beaucoup de concepts dans tes vidéos, mais tu donnes peu d’infos sur la manière de les mettre en pratique. Pourquoi ?
Je n’en parle pas tout simplement parce que… je n’ai pas les réponses (rires). C’est un sujet passionnant et crucial qui mériterait d’être approfondi. Pour cela, il faudrait travailler avec des neurologues, des spécialistes de la mémoire, des mécanismes moteurs ou même du sommeil. En faisant un test avec des guitaristes cobayes ayant les mêmes capacités physiques, ils pourraient sûrement nous apporter la preuve que quatre sessions de travail d’une heure entrecoupées de pauses plus ou moins longues sont plus efficaces qu’une longue session de quatre heures.
Quelle sera la prochaine étape de ton travail ?
Nous voulons concentrer nos efforts sur des domaines qui restent obscurs, comme l’organisation du manche. Le manche de la guitare reste extrêmement plus complexe à appréhender que le clavier d’un piano, et je pense qu’il y a beaucoup de choses à faire pour clarifier tout ça. •