Nous ne prenons pas de gros risques en soulignant que l’histoire du rock, en particulier à la guitare, comprend très peu de femmes, le plus souvent peu connues du grand public. Pourquoi les femmes sont-elles absentes de ce club privé alors qu’elles ont leur place en classique ou en pop ? Elles sont pourtant présentes dans l’imaginaire rock, mais souvent cantonnées aux rôles de groupies, de muses, de choristes, voire de chanteuses. Est-ce un manque d’attrait ou d’aptitude des femmes, ou bien la conséquence d’une régulation à l’entrée qui les dissuade, d’un sexisme qui serait inhérent au rock ? Et comment se fait-il que ces dernières années, les femmes semblent s’en emparer et proposent leur propre relecture de la guitare rock ? C’est ce que nous souhaitons explorer à travers l’histoire de ce volet féminin. Trop souvent considérées comme un ensemble et non dans leur diversité d’expériences et d’opinions, elles méritent d’être reconnues en tant qu’artistes qui ont marqué leur époque !
Dès sa naissance, le rock est multiple et contradictoire. La black music y instille l’importance de la performance, l’expression des sentiments par la voix, le rythme, la danse, le blues. Mais, venue des espaces ruraux blancs, la country aux valeurs protestantes et puritaines s’y adjoint pour donner naissance à l’idéologie rock, faite de honte et de fierté, qui entretient les paradoxes. Le premier étant donc de transgresser certains codes tout en conservant des carcans difficiles à briser pour les femmes.
BLUES SISTERS
Pourtant, elles sont présentes dès les origines, souvent comme chanteuses : Mamie Smith est la première artiste afro-américaine à enregistrer un blues chanté en 1920, « That Thing Called Love » et « You Can’t Keep a Good Man Down » pour Okeh Records, à New York. Son compositeur Perry Bradford a convaincu le dirigeant de la maison de disques, Fred Hagar. Celui-ci est menacé de boycott pour avoir enregistré une chanteuse noire, mais le disque est un succès commercial (pour la première fois, les noirs achètent des disques). Ainsi commence la période du blues féminin, avec le succès de Ma Rainey, Lucille Bogan et Bessie Smith. Toutes les trois ont commencé à chanter très jeunes, dans des églises ou dans la rue. Leurs chansons, comme celles des hommes, parlent ouvertement de sexualité, notamment de leur bisexualité. Peignant des portraits de femmes fortes qui n’ont pas besoin d’hommes, elles s’approprient ce qui jusqu’ici était vu comme viril. Mais qu’en est-il des guitaristes ? À la guitare folk, on trouve des enregistrements bluesy incroyables d’Elizabeth Cotten. Née en 1893 en Caroline du Nord, elle apprend en autodidacte le banjo qu’elle emprunte à son frère puis achète une guitare avec ses premiers salaires à 9 ans (les petites filles noires quittent tôt l’école pour travailler à l’époque). Gauchère, elle joue à l’envers sans inverser les cordes. Avec sa technique à deux doigts, les basses avec l’index et les aigus avec le pouce, plus tard baptisée Cotten Style, elle mélange le blues, le ragtime et ses propres compositions, comme « Freight Train » qu’elle écrit vers 11 ans. Mariée à 15 ans, elle a une fille et travaille en tant que domestique. L’église lui suggérant que la musique est une séduction du diable, elle ne joue plus pendant près de 25 ans, jusqu’à tomber sur une guitare dans une famille chez qui elle travaille, les Seeger. Ces derniers la poussent à enregistrer son premier disque en 1958, à 65 ans, puis elle donne des concerts dans tout le pays. Elle reçoit un Grammy Award à 90 ans, quatre ans avant sa mort. Mais malgré son influence, notamment sur la technique picking, il faut attendre 2022 avant qu’elle soit intronisée au Rock and Roll Hall of Fame. Et ce n’est pas la seule femme qui va devoir attendre la reconnaissance un sacré bout de temps. Big Mama Thornton, la première à chanter « Hound Dog », repris par Elvis, ainsi que « Ball and Chain » popularisé par Janis Joplin, moments fondateurs rock, ne devrait être intronisée que cette année ! Encore plus déconcertant, il faut attendre 2018 pour que Sister Rosetta Tharpe rejoigne le club très sélect du Rock and Roll Hall of Fame. On rappelle qu’elle est citée comme influence par Chuck Berry, Little Richard, Elvis, Johnny Cash, Eric Clapton, Keith Richards, Jeff Beck, et qu’elle n’est pas surnommée la Marraine du rock pour rien : « Strange Things Happening Every Day », sorti en 1945, est considéré par certains comme le premier titre rock jamais enregistré, avec un riff entêtant et un solo. En talons et en robe, avec son attitude, son énergie puissante et son iconique Gibson SG blanche pleine de distorsion, Rosetta Sister Rosetta Tharpe – 45 marque les esprits et s’est imposée comme femme guitariste afro-américaine en pleine période de ségrégation. Elle a révolutionné la musique en mélangeant musiques séculaires (Delta blues et jazz New Orleans) et gospel, et en chantant « Shout Sister Shout », écrasant la discrimination et les stéréotypes. Malgré l’importance de son héritage, à sa mort en 1973, elle est enterrée dans une tombe anonyme à Philadelphie.
COUNTRY GIRLS
Du côté des musiques blanches, on retrouve la famille Carter, un groupe américain de folk traditionnel / country qui a enregistré entre 1927 et 1956, avec Maybelle à la guitare principale qui arbore un jeu distinctif, le Carter Scratch, inspirant plus tard beaucoup d’autres techniques. Leur musique, inspirée du gospel, a eu un impact important sur la country, le bluegrass, la pop, le rock et la folk. Dans un autre genre, Charline Arthur, avec son mélange de boogie-woogie, de rockabilly et de country, compte parmi ses collaborations prestigieuses Elvis et Chet Atkins. Si certaines de ses paroles suggestives ont été censurées et que son image indépendante pouvait choquer, elle a toutefois fait des émules, comme Patsy Cline et Wanda Jackson. Dès les années 50, cette dernière interprétait un rockabilly très rythmé, avec une voix puissante et accompagnée du guitariste Buck Owens. On compte parmi ses fans Elvis Presley, Costello, ou même Lemmy de Motorhead. D’autres rockeuses ont bien sûr eu un rôle très important, comme Janis Martin ou Brenda Lee, qui a atteint les sommets des charts dans les années 60. Toutes ces femmes, qui ont connu le succès fut un temps, ont rapidement été éclipsées par les géants du rock comme Elvis Presley ou Little Richard, qui pourtant les citent eux-mêmes comme influences. Il n’y avait ainsi pas l’ombre d’une femme dans le Rock and Roll Hall of Fame à sa création, en 1983, et ce n’est qu’en 2023 qu’il a intronisé Sheryl Crow, Chaka Khan (reconnue pourtant comme la reine du funk depuis son adolescence), ou encore Kate Bush, artiste visionnaire, première femme à atteindre le numéro 1 des charts britanniques avec sa propre composition (écrite à 19 ans), « Wuthering Heights ». Mais bon, il a fallu aussi plus de trente ans pour introniser Nina Simone, Carole King, Linda Ronstadt et Tina Turner…
LA GUITARE ÉLECTRIQUE, UN SYMBOLE MASCULIN ?
Notons que s’il existe des femmes dans le rock, très peu arborent une guitare. Avant la Seconde Guerre mondiale, la musique est avant tout considérée comme un passe-temps féminin, passif et centré sur l’espace domestique, mais pendant la guerre, beaucoup d’hommes ont acquis des compétences en électronique et ont investi dans le DIY audio (construction de radios, de systèmes hi-fi). Cet engouement masculin pour la technologie se retrouve dans les guitares électriques, souvent inspirées des hot rods et muscle cars pour le design. Dans les médias et la pub, l’électricité est inscrite dans un réseau de significations sexuelles et genrées, alors que les filles sont appelées à considérer les guitaristes comme des objets de fantasme. Les pubs sexistes que l’on trouve dès les années 60 feraient aujourd’hui bondir. En parallèle, dans l’éducation, on incite les petites filles à ne pas faire trop de bruit, à être dans la retenue. Au tournant des années 60-70, les chanteuses de rock commencent à se faire une place, comme Janis Joplin ou Grace Slick de Jefferson Airplane. Les militants pacifistes se retrouvent dans le mouvement hippie, tandis que le rock refuse le matérialisme, milite pour la paix et l’égalité, et transgresse les limites de genre. Surtout, dans la décennie suivante, la figure de la chanteuse folk se développe. C’est à la fois un mouvement émancipateur et qui renforce les stéréotypes de genre : une voix naturelle, la valorisation de la sensibilité et la guitare acoustique. La lutte contre le capitalisme et la musique commerciale donne naissance aux protest songs. Des singer-songwriters comme Joan Baez, Joni Mitchell ou Karen Dalton vont obtenir le respect de leurs pairs. Les accordages et la composition de Joni Mitchell fascinent, évoluant bientôt vers le jazz et le rock, elle influence Prince, Bob Dylan, Bonnie Raitt, Chrissie Hynde et beaucoup d’autres. À cette période, où les femmes commencent à avoir des carrières longues, un autre obstacle apparaît : l’incompatibilité entre le mode de vie d’un musicien de rock et celui, attendu des femmes, du mariage et de la maternité. Certaines se voient obligées d’abandonner leur bébé, dans l’incapacité de l’élever, comme Patti Smith ou Joni Mitchell (qui évoque le sujet dans le superbe « Green Kelly »). D’autres ont recours à des avortements, parfois dangereux et illégaux. Stevie Nicks raconte : « Ça aurait été impossible pour moi d’avoir un enfant à l’époque et de travailler aussi intensément. J’aurais dû arrêter. Je savais que la musique de Fleetwood Mac allait guérir le coeur de tant de gens, et les rendre heureux. Je me suis dit que c’était vraiment important. Il n’y avait aucun autre groupe avec deux femmes chanteuses lead et compositrices. C’était ma mission. » Kate Bush et Vashti Bunyan ont par exemple connu des pauses dans leur carrière pendant lesquelles elles ont mené leur vie familiale. En comparaison, pensez à tous les musiciens hommes de l’époque qui avaient plusieurs enfants (Mick Jagger en compte 8, Bob Marley, 11), parfois avec des maîtresses et sans les reconnaître, puis partaient en tournée pendant des mois sans s’inquiéter…
ELECTRIC GIRLS
Si le folk a son lot de guitaristes femmes, elles restent rares dans le hard rock. Nancy Wilson, guitariste de Heart, explique que dans son enfance, les petites filles étaient encouragées à jouer plutôt de la guitare acoustique mais qu’elle s’est lancée à l’électrique après avoir vu les Beatles à la télé. Elle explique : « Je me sens compétitive en tant que guitariste, quand je suis dans une pièce pleine d’hommes. J’ai tendance à jouer trop fort et j’ai fini par développer une signature sonore assez agressive sur l’acoustique. » Mais outre la guitare, les deux soeurs Wilson ont eu besoin de combativité et de persévérance pour imposer leur image dans le rock. L’arrivée du punk permet aux femmes de pousser plus loin cette transgression. The Runaways est l’un des premiers groupes de femmes du punk / hard rock (on pense à Fanny avant aussi, dans un autre style). Joan Jett, qui rêve d’apprendre la guitare électrique à 12 ans, le fait en autodidacte faute de prof compréhensif. « J’étais à la clarinette dans un orchestre à l’école, nous jouions du Beethoven ou du Bach. On ne nous dit pas qu’on ne peut pas maîtriser l’instrument, on nous dit qu’on n’a pas le droit d’être les Rolling Stones. » Attirée par le rock qui l’autorise à être bruyante et audacieuse, elle cofonde les Runaways en 1975. Le public discrédite les adolescentes, puis les insulte de « putes ». Pire, il leur crache dessus et leur envoie des bouteilles à la figure en concert, Joan se retrouve avec le crâne ouvert et une côte fêlée. À la même période, Iggy Pop, Mick Jagger, David Bowie, Robert Plant et bien d’autres ont pourtant déjà poussé beaucoup plus loin les limites de l’outrage. Les médias aussi les moquent malgré leur succès grandissant. Lorsqu’elle se lance en solo, Jett continue de faire face aux portes fermées : malgré de nouveaux hits et des salles de concerts remplies, 33 maisons de disques refusent de la signer. Elle monte son propre label indé en 1980, Blackheart Records. Elle fait aussi partie des deux seules femmes présentes dans la liste des 100 meilleurs guitaristes de Rolling Stone parue en 2003.
TALKIN’ BOUT A REVOLUTION
Avec Prince, une nouvelle révolution semble pointer son nez. À ses côtés, il embauche des musiciennes talentueuses, Lisa Coleman aux claviers et Wendy Melvoin à la guitare. Toutes les deux se connaissent depuis l’enfance et ont des parents musiciens. À cette époque, c’est l’un des facteurs qui permet une carrière musicale chez les filles, à qui on donne plus facilement une guitare. Malgré tout, Wendy, qui joue depuis ses 6 ans, n’en parle pas à l’école. Les jeunes filles ont alors tendance à jouer seules dans leur chambre, elles voient leur pratique musicale comme personnelle et intime et ont moins tendance à se diriger vers des groupes, ce que l’on retrouve parfois encore aujourd’hui. Wendy raconte les gros yeux que lui font les vendeurs à l’époque, quand elle rentre dans un Guitar Center pour demander des cordes filées plat. Les deux expliquent aussi avoir appris à être moins intimidées par le matos, l’équipement et les nouveautés technologiques grâce à leur collaboration avec Prince. Michael Jackson suit la tendance et embauche Jennifer Batten pour tenir la six-cordes lors de ses tournées. Elle sort alors de l’école GIT de Los Angeles, où elle était la seule femme parmi sa promotion de 60 étudiants. Elle a déjà vécu quelques mésaventures, les « Tu joues aussi bien qu’un homme », ou encore, lors d’une audition : « C’était super bien, mais tu sais, on a toujours des problèmes avec les gonzesses. » Alors qu’elle pensait à l’époque assister à une révolution, il faut encore attendre longtemps l’arrivée des femmes dans la guitare rock. « C’est quand YouTube a gagné en popularité que cela a vraiment commencé à changer. Désormais, pas un mois ne passe sans que je voie une fillette de 7 ans vivant en Indonésie qui pourrait me botter le cul ! » Lorsqu’elle jouait avec Michael Jackson, Frank DiLeo, le manager, lui parlait de faire la couverture de Playboy ou de la chirurgie esthétique pour augmenter ses seins et sa popularité en parallèle. Les détracteurs de Jennifer affirment que le gig est simple, puisqu’il s’agit de pop. Elle fait toutefois taire les médisants en jouant ensuite aux côtés de Jeff Beck. Les générations passent, les préjugés persistent, et sa successeure, Orianthi, connaît aussi les commentaires désobligeants, affirmant qu’elle a obtenu le poste pour son physique. Le jugement est au contraire plus sévère : « Les gens supposent que tu ne seras pas aussi bonne musicienne, et même si tu sonnes bien, ils vont toujours remettre en question car c’est une femme qui joue. Je vois ça tout le temps. » L’étiquette de « la blonde qui joue de la guitare » lui colle à la peau. Aujourd’hui, elle est heureuse de voir plus de femmes arriver dans l’industrie et se soutenir, mais elle ajoute : « Pour l’instant, je regrette juste que beaucoup de filles qui s’exposent sur les réseaux misent sur la technique et la vitesse, peut-être parce qu’elles pensent avoir davantage à prouver que les mecs, je ne sais pas… Je me sens plus proche des filles de Larkin Poe, par exemple. Il faut aussi rendre hommage aux anciennes comme Bonnie Raitt ou Jennifer Batten. C’était très courageux à leur époque. »
LE REGARD DES MÉDIAS
Comme nous l’avons déjà évoqué, les médias ne sont pas innocents dans cette perpétuation de clichés. En 1994, le magazine Q sort une couverture curieuse, qui rassemble Tori Amos, PJ Harvey et Björk, sous un titre magistral : « Hips, Lips, Tits, Power. » (Hanches, Lèvres, Seins, Pouvoir). Les trois musiciennes ne s’étaient jamais rencontrées et n’avaient guère en commun que leur côté singulier et éloigné des musiques commerciales. Nous sommes peu après la troisième vague féministe, qui a vu l’arrivée d’une scène alternative avec le mouvement Riot Grrrl qui aborde des thèmes comme le machisme, le viol, le racisme, etc., avec des groupes comme Bikini Kill, Bratmobile et Heavens to Betsy. Pourtant, le journaliste demande aux trois musiciennes si elles se sont déjà senties en compétition les unes avec les autres. Tori Amos lui rétorque : « C’est drôle, les journalistes essaient toujours d’opposer les femmes les unes aux autres. Si vous pensez à Jimi Hendrix, Jimmy Page et Eric Clapton, ils avaient bien plus en commun que nous trois. On a des seins. On a trois trous. Voilà ce qu’on a en commun. On ne joue même pas les mêmes instruments. Cela me déçoit quand un genre de compétition doit être inventé de toutes pièces pour alimenter des fantasmes. On ne devrait pas se dire, deux paires de seins, c’est trop. Comme dans les radios, qui te disent qu’ils ont déjà passé une artiste féminine cette semaine. On ne se dirait pas cela avec des hommes. » Björk, elle, a décrit dans une lettre son rasle- bol, expliquant que les artistes femmes sont critiquées dès lors qu’elles parlent d’autres sujets que les hommes de leur vie (faisant référence à son album Biophilia où elle parle de galaxies et d’atomes). Elle évoque aussi la difficulté de se faire créditer pour son travail, attribué (parfois par supposition) à ses collègues masculins. Elle se désespère de voir qu’encore aujourd’hui, les gens n’imaginent pas les femmes composer, arranger ou produire de la musique électronique, notamment. Alors, lorsqu’elles le peuvent, les femmes encouragent des talents féminins. La chanteuse et guitariste d’indie rock St. Vincent embauche des directrices artistiques de concerts aux techniciennes. Elle estime que pour plus d’égalité, il faut des femmes en position de pouvoir : « Si tu n’as pas un siège à la table, tu es sur le menu. » Dans le metal, c’est la même rengaine, Lzzy Hale de Halestorm confirme avoir fait face au sexisme, depuis son apprentissage jusqu’à ses concerts. Elle a finalement choisi de porter des talons et tenues féminines, faisant fi des critiques : « Le sexe et le rock’n’roll ont toujours été main dans la main, alors je n’ai jamais essayé de minimiser cela. Je reste juste moi-même, je ne raccourcis pas ma jupe pour gagner de l’attention, mais en même temps, en tant que femme, j’ai le droit de m’exprimer sexuellement de la manière dont j’ai envie. » Il est vrai que le physique des femmes semble toujours être un sujet d’actualité, en particulier sur internet. On note une légère hypocrisie dans le milieu, alors que les guitar heros arborent fièrement torses nus, pantalons en latex ou en cuir, fard aux yeux, permanentes et vestes descendues au nombril.
GIRL POWER 2.0
On retrouve ainsi des témoignages très similaires entre les guitaristes femmes présentes sur les réseaux sociaux. Yvette Young souligne que la visibilité est une épée à double tranchant. « Tu te fais remarquer, mais c’est beaucoup plus difficile d’obtenir du respect. » Elle se retrouve examinée sous toutes les coutures. C’est pourquoi elle conseille aux femmes voulant rentrer dans cette industrie de d’abord trouver leur identité et la confiance en soi, et de ne pas lire les commentaires, pour ne pas perdre leur direction artistique et continuer de faire ce qu’elles aiment. Un avis que partage la Française Laura Cox : « Je regrette d’avoir parfois été trop aimable et sympathique avec certains fans qui ont cru que j’étais devenue leur amie, voire que je leur avais envoyé des signaux, et me reprochaient de ne plus répondre à leurs messages sur Facebook… Je parle facilement avec les gens, mais je le fais moins car j’ai peur que cela se retourne contre moi. Il faut davantage poser des limites quand on est une femme. » Anouck André, que vous pouvez retrouver à la rubrique pédago de Guitare Xtreme, raconte qu’elle a eu droit à des demandes en mariage rigolotes mais aussi à des menaces de mort par email. Elle souligne la difficulté de lire des commentaires qui sous-entendent que l’on réussit car on est une femme, au mépris du travail réalisé. Les femmes doivent sans cesse prouver leur légitimité, il semble n’y avoir pas d’entre-deux entre être nulle ou virtuose. Leur jeu est scruté autant que leur physique, difficile de donner le meilleur de soi dans ces conditions. Une jeune fille qui débute et regarde ces vidéos pour apprendre peut vite être découragée en voyant des commentaires haineux ou moqueurs. Heureusement, en plus d’une véritable solidarité, les femmes ressentent leur avenir dans le rock comme plus safe et plus ouvert, avec plus de représentation. Même si les programmations des festivals restent majoritairement masculines, on observe une part croissante de groupes menés ou composés de femmes. Associations et mouvements se multiplient, comme le « More Women on Stage » lancé par la Française Lola Frichet. Parmi les chiffres encourageants, en 2015, Fender a réalisé une enquête montrant qu’aux États-Unis, 50 % des guitaristes débutants sont des femmes ! Une proportion confirmée par une seconde étude trois ans plus tard, incluant le Royaume-Uni. Une surprise, qui s’explique par le fait que la majorité des filles achètent désormais leur instrument en ligne – la crainte de l’ambiance parfois intimidante dans les magasins et du regard des autres. L’industrie semble prendre conscience des difficultés que peuvent rencontrer les femmes dans ces milieux et se métamorphoser lentement. Le rock, depuis ses débuts, s’épanouit dans les rencontres de cultures et d’expériences. La présence plus importante des femmes guitaristes depuis quinze ans est donc un enrichissement, une opportunité de nouvelles découvertes. N’hésitez pas à soutenir celles dont vous appréciez la musique et la pédagogie, car les algorithmes ont tendance à mettre en avant le contenu avec lequel on interagit le plus, mais aussi les personnes considérées comme belles par la plateforme ou dont le contenu est à la mode, mais pas forcément de qualité. Alors il faut creuser un peu pour changer la tendance, et si vous manquez de femmes guitaristes à suivre, en plus de celles déjà citées, voici une petite liste non exhaustive : Nili Brosh, Rockloé, Lari Basilio, Nita Strauss, Jessie Lee Houllier, Kaki King, Larkin Poe, Brittany Howard, Susan Tedeschi, Liz Buckingham, Nina Attal, Toni Lindgren, Madison Cunningham, Gaëlle Buswel, Gretchen Menn, Irene Ketikidi, Courtney Cox, Sarah Longfield, Julia Kosterova, Yasi Hofer, Tina S, Juliette Valduriez, Jess Lewis…